Dans un article publié le 18 septembre 2014, dans le Wall Street Journal et intitulé « For Poor Countries, China Is No Model – State-centered growth may seem like an answer to popular unrest, but the long-term costs are too high » Dambisa Moyo attire l’attention sur les risques que font courir pour l’ensemble du Monde les politiques protectionnistes et le renforcement de l’autoritarisme de certains pays émergents, politiques mises en place pour répondre à court terme aux désordres naissants de l’économie et et de la politique. Le modèle de la Chine n’est pas aussi reproductible qu’on voudrait le penser. Les effets se font déjà sentir sur le commerce mondial des marchandises et des capitaux.
Les économies des pays émergents font face à une crise naissante. Ces états hébergent 90 % de la population mondiale et en moyenne 70 % de cette population ont moins de 25 ans. Ces jeunes rêvent d’une vie meilleure, plus libre avec plus d’opportunités. De plus en plus d’entre eux descendent dans la rue, comme en Afrique du Sud en Thaïlande au Brésil en Ukraine.
Selon Dambisa Moyo, trop de gouvernements reculent plus qu’ils n’avancent dans le traitement de cette crise naissante. Ils essaient d’y répondre en suivant une certaine version de ce qu’ils voient comme le « modèle chinois ». Les résultats pourraient être très graves pour l’économie mondiale. La taille des économies émergentes est déjà telle que leurs actions pourraient secouer le marché des capitaux et des obligations, celui des taux de change et mettre en péril le commerce mondial.
Ces pays sont divers en termes de politiques et de cultures, mais les moteurs principaux de l’agitation de leurs populations sont semblables : une croissance basse, une pauvreté persistante, des salaires stagnants et un taux de chômage qui coupe du travail des millions de personnes et donc de toute perspective réelle de progrès pour eux et pour leur famille.
Un taux de croissance de 7 % est le minimum exigé pour doubler les revenus par habitant dans une génération et réduire ainsi la pauvreté. Mais pour la plupart des pays du monde émergent, les taux de croissance n’atteindront pas la moitié de cela dans un avenir proche. Au Brésil, en Thaïlande et en Russie, la croissance restera au-dessous de 3 % en 2014.
Et la situation pourrait empirer. Sous la pression de leurs citoyens très normalement impatients de voir leur niveau de vie progresser, trop de leaders de ces pays se tournent vers des politiques qui, à plus long terme, vont probablement interdire la croissance économique et susciter des troubles. Les mesures protectionnistes ont commencé à ralentir la croissance de commerce mondial. En 2013, l’Organisation Mondiale du Commerce a révisé sa prévision de la croissance de commerce mondial de 4.5 % à 3.3 %- nettement plus bas que la croissance moyenne de 5.3 % des 25 ans précédents.
Simultanément, le rôle de l’État dans les économies émergentes s’étend. Les 13 premiers producteurs d’énergie du monde sont gouvernementaux, principalement dans les pays en voie de développement. Et neuf des 10 plus grands fonds souverains sont dans des marchés émergents.
Certains gouvernements de pays émergents désirent imiter le succès de la Chine avec des politiques étatistes qui peuvent avoir un fort impact à court terme. Avec le capitalisme d’état, la Chine a eu une croissance phénoménale ; elle a sorti des centaines de millions d’habitants de la pauvreté ; elle a développé ses infrastructures et elle a fourni des services sociaux à la population.
Pendant que la Chine autocratique réussissait, la démocratie et le capitalisme subissaient une série d’échecs qui les rendent moins attractifs. Cela va des inégalités des revenus aux États-Unis à la montée de gouvernements en Russie, au Venezuela et ailleurs, en théorie démocratiques, mais qui limitent fortement la liberté d’expression et l’état de droit.
Beaucoup de leaders dans des économies émergentes voient de plus en plus la croissance économique comme un pré-requis pour la démocratie plutôt que dans l’autre sens. Ils dirigent leurs économies en pleine expansion non seulement comme la Chine, mais aussi, comme les états autocratiques qu’étaient Singapour sous Lee Kuan l’If et le Chili sous le général Augusto Pinochet.
Les résultats de la Chine sont incontestablement impressionnants. Mais le modèle chinois n’est pas aussi viable que ses admirateurs dans le monde émergent le pensent souvent. D’abord, contrairement à beaucoup de marchés émergents, la croissance de la Chine a été conduite en grande partie par ses exportations. Son succès a dépendu de l’ouverture des marchés de l’Ouest. La plupart des autres économies émergentes sont basées sur les productions agricole et alimentaire, exactement les productions dont les États-Unis et l’Europe contrôlent l’importation en accordant des subventions à leurs propres producteurs.
Deuxièmement, un système économique avec l’Etat à son cœur est inefficace parce qu’il disloque des marchés. Quand le gouvernement est l’arbitre économique suprême, les actifs sont inévitablement mal évalués, ce qui gêne la croissance à plus long terme. Il crée aussi des déséquilibres entre l’offre et la demande, qui peuvent susciter l’inflation et déformer des taux d’intérêt.
Finalement, les politiques qui imitent la Chine peuvent rapporter une explosion à court terme de l’emploi, mais elles produisent aussi des « externalités » négatives sérieuses. La Chine elle-même est maintenant aux prises avec des dettes énormes dans son secteur financier, une bulle immobilière qui pourrait éclater à tout moment et la pollution qui ralentit la croissance.
Dambisa Moyo suggère que nous devrions nous inquiéter de ce que, face à la croissance de l’agitation populaire, beaucoup de leaders dans des marchés émergents deviennent des partisans de l’autorité et des modèles étatiques. Indépendamment de l’attrait politique à court terme de telles politiques, elles devraient, à long terme, renforcer les troubles sociaux et créer un cercle vicieux pour le Monde dans l’ensemble.
Dambisa Felicia Moyo, économiste est née en Zambie le 2 février 19691. Elle analyse la macroéconomie et l’influence de l’aide étrangère et les relations internationales..
Son essai paru en 2009 en français sous le titre : « L’aide fatale : Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique » (Jean-Claude Lattès – ISBN 978-2709633604) a été à l’origine d’un large débat sur les bienfaits et les méfaits de l’aide internationale telle qu’elle conçue et prodiguée aujourd’hui.